Pour une politique réductionniste et digne des personnes incarcérées
« À chaque époque étudiée, il n’y pas de lien direct entre la criminalité et la population carcérale mais toujours un lien avec un indicateur socio-économique. Une société mal en point au niveau socio-économique a tendance à se raidir. Il faut donc sortir de l’idée que l’augmentation de la population carcérale répond à une série de faits eux-mêmes en augmentation. »(1)
Depuis de nombreuses années, le mouvement laïque mène des actions individuelles et collectives au sein et en dehors des prisons. Ces actions s’inscrivent dans une réflexion plus globale menée par le Conseil central laïque et ses partenaires sur la politique pénitentiaire et le système carcéral belge qui prévalent aujourd’hui et qui heurtent de front un bon nombre de valeurs démocratiques et laïques.
Plus de 10.400 personnes sont détenues dans les prisons belges alors que la capacité moyenne est de 9230 places. La surpopulation carcérale est endémique et structurelle. Depuis les années 1980, elle a augmenté de 63% alors qu’en 10 ans, la criminalité a baissé de 15% en moyenne en Belgique et de près de 20% à Bruxelles (2). Les causes principales de cette surpopulation sont multiples et bien connues: recours trop important à la détention préventive et à la peine privative de liberté en général, allongement des peines et extension du filet pénal, insuffisance des libérations anticipées comme la libération conditionnelle par exemple.
Dans la majorité des établissements pénitentiaires, les conditions de détention sont déplorables et le peu de formations, de possibilités de travail et de projets préparant à la sortie rendent très difficile la réinsertion de ces personnes dans la société et donc la non-récidive (3). Par ailleurs, la Belgique se fait condamner, à intervalle régulier, par divers organes européens et internationaux de protection des droits de l’homme (CEDH, Comité anti torture de l’ONU, Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (4)), sans opérer ensuite de véritables changements.
Malgré ces chiffres, l’État refuse de changer de paradigme notamment en réformant en profondeur le Code pénal afin que la peine de prison ne puisse être prononcée qu’en dernier ressort et que les alternatives à la détention soient véritablement investies. Par ailleurs, l’État continue de construire de nouvelles prisons (via les divers Master Plan des dernières années) qui augmentent de manière très importante le parc carcéral via des partenariats publics-privés (dernier exemple en date, le « village pénitentiaire » de Haren, en partenariat public-privé type DBFM, coût pour l’État belge: 2 milliards sur 20 ans, redevance annuelle de 40,2 millions d’euros par an).
Le Centre d’Action Laïque recommandede :
Réformer en profondeur le Code pénal, la législation relative au casier judiciaire et la loi sur la détention préventive dans une optique réductionniste (moins d’infractions et moins de peine de prison comme pour certains faits de toxicomanie, par exemple donc moins d’enfermement).
Abandonner les futurs projets de construction de maxi-prisons et fermer toutes les annexes psychiatriques carcérales du pays en transférant tous les internés vers des centres de psychiatrie légale (Gand, Anvers, Wavre) afin de soigner ces personnes atteintes de maladies mentales.
Rénover les anciennes prisons en privilégiant la création de petites unités de vie, basées sur les modèles hollandais et scandinaves (plus spécifiquement suédois et finlandais) et les prisons ouvertes ou semi-ouverte avec formation et travail en extérieur (comme le centre pénitentiaire de Ruiselede par exemple).
Permettre au Parlement ou à un organe de contrôle externe de contrôler de manière effective les investissements de la Régie des bâtiments en matière pénitentiaire et en particulier au sujet des partenariats publics-privés.
Soutenir le développement de projets pilotes relatif aux maisons de détention et aux maisons de transition (sur base du modèle « de Huizen ») sans extension du filet pénal.
Encourager la réinsertion des personnes détenues par le biais notamment de la mise en œuvre des articles relatifs aux droits des détenus contenus dans la loi de principe du 12 janvier 2005 (plan de détention individuel, vie en communauté, travail pénitentiaire, droit de plainte), d’un meilleur suivi psychosocial des services internes et d’une augmentation de leur cadre, de formations qualifiantes et certificatives, de remises de peine en cas de réussite de formations de base, etc.
Renforcer les services d’aide aux détenus et plus globalement les services externes qui entrent en prison et en particulier ceux qui s’occupent du maintien du lien entre les parents détenus et leurs enfants.
Entamer une analyse genrée de la condition carcérale et réglementer la détention des femmes enceintes et des jeunes mères.
Mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture (MNP) indépendant d’un organe de médiation ou gestion du droit de plainte, la Belgique ayant ratifié le protocole de la convention en juillet 2018.
Améliorer les moyens et les missions des commissions de surveillance des prisons en veillant à ne pas leur attribuer en même temps des missions de médiation et de gestion du droit de plainte, qui doivent être pour ces dernières attribuées à un organe juridictionnel.
Rémunérer les commissaires pour leur travail.
Valoriser les multiples études criminologiques (notamment de l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie) relatives à la peine, à la détention et à l’enfermement et en réaliser davantage, notamment sur le profil socio-économique des détenus et la récidive.
Procéder à une analyse d’impact des nouvelles technologies de surveillance des détenus sur les personnes (bracelet électronique / « prison cloud»).
Améliorer la coordination entre la Communauté française et le Fédéral de manière effective et organiser, régulièrement, une coordination structurée entre les divers acteurs du monde pénitentiaire (judiciaire, administratif, scientifique, association d’aide aux détenus).
Augmenter le cadre des conseillers moraux en prison. Pour rappel, actuellement, sur les 74 ETP, il n’y a que 9 ETP conseillers moraux pour les 35 établissements pénitentiaires.
Au niveau des détenus radicalisés, analyser et mieux comprendre les causes ainsi que les référentiels multiples et complexes qui produisent et reproduisent de la radicalisation à l’intérieur et à l’extérieur des prisons et renforcer l’assistance psychosociale et l’assistance morale et religieuse de ces détenus. Renforcer la formation des agents sur ce thème.
Au niveau du casier judiciaire, favoriser l’intégration au travail des personnes judiciarisées et multiplier les mesures de suspension du casier judiciaire afin d’aider les anciens détenus dans leur recherche d’emploi et favoriser les mesures d’effacement légal automatique de certaines condamnations ainsi que les mesures de réhabilitation légale par l’assouplissement des conditions et des délais.
Supprimer la double peine pour les détenus étrangers avec ou sans titre de séjour.
(1) Christophe Mincke. Directeur de l’Institut national de criminalistique et de criminologie.
(2) Observatoire bruxellois pour la prévention et la sécurité, Rapport 2016/2017.
(3) Voir l’étude d’Eric Maes et Luc Robert sur la réincarcération des détenus après leur sortie de prison. (INCC, 2012)
(4) Voir notamment CEDH 2015, arrêt BAMOUHAMAD, condamnation de la Belgique pour la poursuite du recours au carrousel pénitentiaire, le défaut d’accompagnement psychologique dans le cadre des régimes d’exception et l’absence de recours effectifs, CEDH 2014, arrêt VASILESCU, condamnation de la Belgique, car maintien de détenus fumeurs avec des non-fumeurs, de toilettes non cloisonnées, de cellules sans toilettes, de matelas posés au sol et de non-respect de l’espace de détention minimal, Voir dernier rapport du CPT sur les internés et le service minimum (8 mars 2018) ; Voir dernière notice de l’Observatoire international des prisons (2017).
Une sélection de pistes de solutions proposées par le Centre d'Action Laïque qui illustrent comment le mouvement laïque souhaite que soient traduites concrètement les valeurs de liberté, égalité et solidarité.